La société israélienne est prise dans un débat houleux sur le «partage du fardeau » du service militaire de façon plus équitable. A l’heureactuelle, quelque 40 % des conscrits potentiels réussissent à se soustraire àleurs obligations militaires.
A ce jour, le conflit s’est largement concentré sur les exonérations accordéesaux juifs ultraorthodoxes qui étudient à temps plein dans les Yeshivot. LaKnesset examine actuellement un projet de loi qui permettrait de réduireconsidérablement ce privilège, malgré l’opposition déterminée du monde harédiqui a juré de le combattre jusqu’au bout.
Mais ces derniers temps, le débat fait rage autour d’un autre segment dela population à même de rejoindre les rangs de Tsahal : les chrétiens arabes.Les membres de la Knesset et les procureurs de l’Etat ont été entraînés danscet échange passionné, suite à l’intervention d’un prêtre grec orthodoxe deGalilée, qui encourage les chrétiens arabes à se porter volontaires dansl’armée israélienne.
Défroquez le traître
L’automne dernier, le père Gabriel Nadaf, du village deYafia, a lancé un appel public aux chrétiens arabes israéliens pour servir dansl’armée israélienne. Le mouvement a suscité l’émoi de la communauté arabe, maisn’a fait les gros titres de la presse israélienne que très récemment. Cecilorsque des députés arabes ont exigé que Théophile III, patriarche de l’Egliseorthodoxe grecque de Jérusalem, rappelle Nadaf à l’ordre ou même aille jusqu’àle défroquer. Ce qui a suscité en retour des appels de députés juifsnationalistes, qui exigent que les législateurs arabes soient interdits d’accèsà l’hémicycle et poursuivis pour incitation à la haine contre l’Etat.
Dès la création de l’Etat d’Israël en 1948, les citoyens arabes israéliens, quireprésentent désormais 20 % de la population du pays, ont été exemptés deservice militaire. Au cours des décennies qui ont suivi, la minorité bédouineet un certain nombre de villages druzes ont choisi d’envoyer leurs fils àl’armée, mais le reste des Arabes – musulmans et chrétiens – ont largementdésapprouvé cette démarche.
L’engagement de Nadaf autour de cette question remonte à l’année dernière,quand il a répondu à l’invitation d’un forum local dans la région de Nazarethpour promouvoir l’enrôlement chrétien, le Forum pour la conscription de lacommunauté chrétienne. Le groupe a été lancé par Bishara Shilyan, un capitainede bateau arabe de 58 ans, qui a rencontré les premières difficultés pour faireadmettre son neveu dans l’armée israélienne. « Tout a commencé quand j’ai voulufaire entrer mon neveu à Tsahal », explique Shilyan. « Ce n’était pas facile.Au début, ils n’ont pas voulu l’accepter. Aujourd’hui, il est major dans uneunité de combat. » Puis quand arrive le tour de son fils de rejoindre l’arméeisraélienne, Shilyan fonde le Forum avec l’aide de membres du clergé local,dont Nadaf. Ses efforts porteront leurs fruits, puisque 90 Arabes chrétiensdiplômés du secondaire ont rejoint l’armée israélienne ces derniers mois, soittrois fois plus qu’il y a trois ans. Tsahal vient d’ouvrir un bureau àTibériade, chargé de faciliter la conscription arabe chrétienne, avec unconseiller spécial nommé par le ministère de la Défense, pour s’occuperexclusivement des Arabes chrétiens.
Menacé de mort
Cependant, Nadaf subit de plein fouet la colère de sescoreligionnaires arabes chrétiens, des musulmans israéliens et de l’Autoritépalestinienne.
Dans sa ville natale et aux alentours de Nazareth, de nombreuses affichescouvrent les murs pour condamner le prêtre. Il est désormais obligé de sedéplacer avec des gardes du corps et a été mis au ban de l’église del’Annonciation de Nazareth. On a lacéré les pneus de sa voiture, jeté un chiffontaché de sang devant sa porte. Sa femme et ses deux enfants reçoiventrégulièrement des menaces de mort et toutes sortes de malédictions quand ilsmarchent dans la rue.
Certains gouvernements arabes étrangers ont même lancé un avertissement àNadaf, le tenant responsable de tout préjudice qui pourrait affecter leschrétiens de la région.
Les dénonciations par les députés arabes comme Haneen Zoabi et Bassel Ghattasdu parti Balad ont suivi, ce qui a porté la question sur le devant de la scènenationale.
« Nous sommes contre son initiative », déclare Ghattas, un Arabe chrétien, auJerusalem Post. « En tant que représentant religieux, il devrait s’occuperuniquement des affaires de son église. Il n’a pas à se mêler de politique. Sonrôle n’est pas de chercher à influencer les chrétiens arabes pour qu’ils seportent volontaires dans l’armée israélienne. Cela va à l’encontre de lavolonté publique et du désir de la population chrétienne elle-même »,ajoute-t-il. « Nous sommes à la fois chrétiens et nous appartenons au peuplepalestinien. » Ghattas confirme également qu’il a écrit personnellement àTheophilos, et exigé qu’il renvoie Nadaf s’il continue à promouvoir le servicemilitaire dans l’armée israélienne au sein de la population arabe.
Theophilos a fini par convoquer Nadaf à une réunion au Patriarcat de Jérusalemle mois dernier. Bien qu’il ne l’ait pas révoqué, il a cependant invité leprêtre à la prudence, et l’a sommé de garder un profil bas sur la question,afin de préserver la communauté arabe chrétienne.
Les « fils de la nouvelle alliance »
Pendant ce temps, les députés juifs de ladroite et du centre se sont portés au secours de Nadaf. Ils ont exhorté leprocureur général à ouvrir une enquête sur la campagne des politiciens arabescontre le religieux grec orthodoxe. Le député Miri Regev du Likoud a dénoncéles législateurs arabes, lors d’une récente audition à un comité de la Knesset.« Il est inacceptable que les députés arabes puissent envisager d’être deschevaux de Troie à la Knesset, et qu’ils envoient des lettres d’incitation à lahaine contre un prêtre chrétien, qui encourage les jeunes chrétiens à s’enrôlerdans l’armée », insiste-t-elle.
Le déchaînement des réactions a certes bouleversé Nadaf et sa famille, mais leprêtre n’a pas pour autant baissé les bras.
« Nous nous sentons en sécurité dans l’Etat d’Israël », a récemment expliquéNadaf. « Et nous nous considérons comme citoyens de l’Etat, avec tous lesdroits qui en découlent, mais aussi les obligations. Nous vivons tous dans lemême foyer, que nous devons défendre. » Aux dizaines de jeunes chrétiens arabesà travers le pays, qui s’adressent à lui, par téléphone ou par courriel, pourlui demander conseil, il répond « participez, et n’ayez pas peur ! » Shilyan,de son côté, tient bon, lui aussi. En fait, il a même franchi une étapesupplémentaire, en créant un nouveau mouvement politique qui espère gagner dessièges aux prochaines élections de la Knesset. Appelé Bnei Brit Hahadasha enhébreu – Les fils de la nouvelle alliance – le groupe soutient Israël en tantqu’Etat juif et entend défier les positions traditionnelles arabes contreIsraël.
Shilyan met en avant l’échec des partis arabes en place à défendre les intérêtscommunautaires. La plateforme du parti, présentée sur sa page Facebook,comprend l’intégration complète des chrétiens dans tous les domaines, la paixavec un Etat palestinien démocratique et tous les voisins d’Israël, la relancedu tourisme et du commerce, et le retour des Israéliens qui ont quitté le pays.